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CORRESPONDANCE

Subis-la cette exigence, et tu auras le cœur tranquille.

Prends la vie de plus haut, monte sur une tour (quand même la base craquerait, crois-la solide) ; alors tu ne verras plus rien que l’éther bleu tout autour de toi. Quand ce ne sera pas du bleu, ce sera du brouillard ; qu’importe, si tout y disparaît noyé dans une vapeur calme. Il faut estimer une femme pour lui écrire des choses pareilles.

Je me tourmente, je me gratte. Mon roman a du mal à se mettre en train. J’ai des abcès de style et la phrase me démange sans aboutir. Quel lourd aviron qu’une plume et combien l’idée, quand il la faut creuser avec, est un dur courant ! Je m’en désole tellement que ça m’amuse beaucoup. J’ai passé aujourd’hui ainsi une bonne journée, la fenêtre ouverte, avec du soleil sur la rivière et la plus grande sérénité du monde. J’ai écrit une page, en ai esquissé trois autres. J’espère dans une quinzaine être enrayé ; mais la couleur où je trempe est tellement neuve pour moi que j’en ouvre des yeux ébahis.

Mon rhume touche à sa décadence ; ça va bien. Au milieu du mois prochain, j’irai à Paris passer deux ou trois jours. Travaille, pense à moi, pas trop en noir et, si mon image te revient, qu’elle t’amène des souvenirs gais. Il faut rire quand même. Vive la joie ! Adieu. Encore un baiser. Le protégé de Mme Sand aura prochainement un article dans le Journal de Rouen.