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CORRESPONDANCE

bonne foi avec lui-même. Il me semble que je le suis. Je t’expose mes entrailles. Je me fie à toi, je ferai ce que tu voudras. Je te remets mon individu, dont je suis harassé. Je ne me doutais guère, quand j’ai commencé ma lettre, que j’allais te dire tout cela. Ça est venu ; que ça parte. Nos prochaines causeries en seront peut-être simplifiées. Adieu, je t’embrasse avec un tas de sentiments.


291. À LOUISE COLET.
[Croisset] Nuit de jeudi, 1 heure [fin octobre 1851].

Pauvre enfant ! Vous ne voudrez donc jamais comprendre les choses comme elles sont dites ? Cette parole, qui vous semble si dure, n’a pourtant pas besoin d’excuses ni de commentaires et, si elle est amère, ce ne peut être que pour moi. Oui, je voudrais que vous ne m’aimiez pas et que vous ne m’eussiez jamais connu et, en cela, je crois exprimer un regret touchant votre bonheur. Comme je voudrais n’être pas aimé de ma mère, ne pas l’aimer, ni elle ni personne au monde, je voudrais qu’il n’y eût rien qui partît de mon cœur pour aller aux autres, et rien qui partît du cœur des autres pour venir au mien. Plus on vit, plus on souffre. Pour remédier à l’existence, n’a-t-on pas inventé, depuis que le monde existe, des mondes imaginaires, et l’opium, et le tabac, et les liqueurs fortes, et l’éther ? Béni celui qui a trouvé le chloroforme. Les médecins objectent qu’on en