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CORRESPONDANCE

Thamar, Nabuchodonosor, le Sphinx, la Chimère et tous les animaux. Ce serait bien difficile de publier des fragments ; tu verras. Il y a de fort belles choses ; mais, mais, mais ! ça ne satisfait pas en soi, et le mot « drôle » sera, je crois, la conclusion des plus indulgents, voire des plus intelligents. Il est vrai que j’aurai pour moi beaucoup de braves gens qui n’y comprendront goutte et qui admireront de peur que le voisin n’y entende davantage. L’objection de Bouilhet à la publication est que j’ai mis là tous mes défauts et quelques-unes de mes qualités. Selon lui, ça me calomnie. Dimanche prochain nous lirons tous les dieux ; peut-être est-ce ce qui ferait le mieux un ensemble. Pas plus là-dessus que sur la question principale, je n’ai d’opinion à moi. Je ne sais que penser. Je suis comme l’âne de Buridan. On ne m’a pas jusqu’à présent accusé de manquer d’individualisme et de ne pas sentir mon petit moi. Eh bien ! voilà que, dans la question la plus importante peut-être d’une vie d’artiste, j’en manque complètement, je m’annule, je me fonds, et sans efforts, hélas ! car je fais tout ce que je peux pour avoir un avis quelconque, et j’en suis dénué autant que possible. Les objections pour et contre me paraissent également bonnes. Je me déciderais à pile ou face et je n’aurais pas regret du choix, quel qu’il fût.

Si je publie, ce sera le plus bêtement du monde, parce qu’on me dit de le faire, par imitation, par obéissance et sans aucune initiative de ma part. Je n’en sens ni le besoin ni l’envie. Et ne crois-tu pas qu’il ne faut faire que ce à quoi le cœur vous pousse ? Le poltron qui va sur le terrain, poussé