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CORRESPONDANCE

Si je pouvais vous rendre heureuse, je le ferais avec joie ; ce ne serait que justice. L’idée que je vous ai tant fait souffrir m’est à charge ; ne le comprenez-vous pas ? Mais cela ne dépend (et tout le reste n’a dépendu) ni de moi, ni de vous, mais des choses mêmes.

Vous m’avez dû l’autre jour, à Rouen, trouver bien froid. Je l’ai été le moins possible pourtant. J’ai fait tous mes efforts pour être bon ; tendre, non : c’eût été une hypocrisie infâme et comme un outrage à la vérité de votre cœur.

Lisez et ne rêvez pas. Plongez-vous dans de longues études ; il n’y a de continuellement bon que l’habitude d’un travail entêté. Il s’en dégage un opium qui engourdit l’âme. J’ai passé par des ennuis atroces et j’ai tournoyé dans le vide, éperdu d’embêtement. On s’en sauve à force de constance et d’orgueil ; essayez.

Je voudrais que vous fussiez en tel état nous puissions nous revoir avec calme. J’aime votre société quand elle n’est pas orageuse. Les tempêtes qui plaisent si fort dans la jeunesse ennuient dans l’âge mûr. C’est comme l’équitation : il fut un temps où j’aimais à aller au grand galop ; maintenant je vais au pas et la bride sur le cou. Je deviens très vieux ; toute secousse me gêne, et je n’aime pas plus à sentir qu’à agir.

Vous ne me dites rien de ce qui m’intéresse le plus, vos projets. Vous n’êtes encore fixée à rien ; je le devine. L’avis que je vous avais donné était bon ; il faut toujours, comme disait Phidias dans le temps, avoir un gigot et un aloyau.

Je vous reverrai bientôt à Paris, si vous y êtes. (Vous deviez rester en Angleterre un mois ?) Je