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CORRESPONDANCE

comme une hallucination perpétuelle, un Enlèvement d’Europe, de Véronèse, qui m’excite énormément, et encore deux ou trois autres choses à faire beaucoup causer. Il y a quinze jours que je suis à Rome. Je t’en parlerai plus longuement plus tard. Mais la Grèce m’a rendu difficile sur l’art antique. Le Parthénon me gâte l’art romain, qui me paraît à côté mastoc et trivial. Oui, c’est beau, la Grèce !

Ah ! pauvre vieux, comme je t’ai regretté à Pompéi ! Je t’envoie des fleurs que j’y ai cueillies dans un lupanar sur la porte duquel se dressait un phallus. Il y avait dans cette maison plus de fleurs que dans aucune autre. Les semences antiques tombées à terre ont peut-être fécondé le sol. Le soleil casse-brillait sur les murs gris.

J’ai vu Pouzzoles, le lac Lucrin, Baïa. Ce sont des paradis terrestres ; les empereurs avaient bon goût. Je me suis fondu en mélancolie par là.

Comme un touriste, je suis monté au haut du Vésuve, ce qui m’a même éreinté. Le cratère est curieux. Le soufre a poussé sur ses bords en formidables végétations jaune et lie de vin. J’ai été à Pœstum. J’ai voulu aller à Caprée et ai failli y rester… dans les flots. Malgré ma qualité de canotier, j’ai bien cru que c’était mon dernier moment. J’avoue avoir été troublé et même avoir eu paour, grand paour. J’étais à deux doigts de ma perte, comme Rome aux pires temps des guerres puniques.

Naples est charmant par la quantité de femmes qu’il y a. Tout un quartier est garni de putains qui se tiennent sur leur porte ; c’est antique et vrai Suburre. Lorsqu’on passe dans la rue, elles retrous-