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DE GUSTAVE FLAUBERT.

Rome de Néron et je n’ai trouvé que celle de Sixte-Quint. L’air prêtre emmiasme d’ennui la ville des Césars. La robe du jésuite a tout recouvert d’une teinte morne et séminariste. J’avais beau me fouetter et chercher ; toujours des églises, des églises et des couvents, de longues rues ni assez peuplées ni assez vides, avec des grands murs unis qui les bordent et le christianisme tellement nombreux et envahissant que l’antique qui subsiste au milieu est écrasé, noyé.

L’antique subsiste dans la campagne, inculte, vide, maudite comme le désert, avec ses grands morceaux d’aqueduc et ses troupeaux de bœufs à large envergure. Ça, c’est vraiment beau et du beau antique rêvé. Quant à Rome elle-même, sous ce rapport, je n’en suis pas encore revenu ; j’attends pour la reprendre par là que cette première impression ait un peu disparu. Ce qu’ils ont fait du Colisée, les misérables ! Ils ont mis une croix au milieu du cirque et tout autour de l’arène douze chapelles ! Mais comme tableaux, comme statues, comme seizième siècle, Rome est le plus splendide musée qu’il y ait au monde. La quantité de chefs-d’œuvre qu’il y a dans cette ville, c’est étourdissant ! C’est bien la ville des artistes. On peut y passer l’existence dans une atmosphère complètement idéale, en dehors du monde, au-dessus. Je suis épouvanté du Jugement dernier de Michel-Ange. C’est du Gœthe, du Dante et du Shakespeare fondus dans un art unique ; ça n’a pas de nom et le mot sublime même me paraît mesquin, car il me semble qu’il comporte en soi quelque chose d’aigre et de trop simple.

J’ai vu une Vierge de Murillo qui me poursuit