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CORRESPONDANCE

mot que Maxime a reçu de toi à Naples, de voir que tu me demandais mon avis. Tu as dû pourtant recevoir cette lettre ; je serais fâché qu’elle fût perdue.

De jour en jour, à Naples et à Rome, depuis que j’y suis, j’attendais et j’attends une lettre de ta seigneurie. Je n’en ai pas eu depuis Athènes, c’est-à-dire depuis janvier dernier. C’est long, cher Monsieur. Que deviens-tu donc ? Voilà l’été, pauvre vieux ; au mois de juillet prochain, dans deux mois et demi, nous reprendrons nos dimanches, nos gueulades, nos chères et communes inquiétudes. Tu t’étendras sur mon tapis de voyage, plein encore de sable et de puces. Tu fumeras dans mes pipes longues et humeras, si tu veux, le cuir de ma selle.

Je deviens fou de désirs « effrénés » (j’écris le mot et je le souligne). Un livre que j’ai lu à Naples sur le Sahara m’a donné envie d’aller au Soudan avec les Touaregs qui ont toujours la figure voilée comme des femmes, pour voir la chasse aux nègres et aux éléphants. Je rêve bayadères, danses frénétiques et tous les tintamarres de la couleur. Rentré à Croisset, il est probable que je vais me fourrer dans l’Inde et dans les grands voyages d’Asie. Je boucherai mes fenêtres et je vivrai aux lumières. J’ai des besoins d’orgies poétiques. Ce que j’ai vu m’a rendu exigeant.

Le Don Juan avance piano ; de temps à autre, je « couche par écrit » quelques mouvements.

Mais parlons de Rome ; tu t’y attends, bien sûr. Eh bien, vieux, je suis fâché de l’avouer, ma première impression a été défavorable. J’ai eu, comme un bourgeois, une désillusion. Je cherchais la