Page:Flaubert Édition Conard Correspondance 2.djvu/285

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
279
DE GUSTAVE FLAUBERT.

la fréquentation des dames franques, croulera de lui seul, sous le feuilleton et le vaudeville… Bientôt le voile, déjà de plus en plus mince, s’en ira de la figure des femmes, et le musulmanisme avec lui s’envolera tout à fait. Le nombre des pèlerins de la Mecque diminue de jour en jour. Les ulémas se grisent comme des Suisses. On parle de Voltaire ! Tout craque ici, comme chez nous. Qui vivra s’amusera !

La loi sur la correspondance des particuliers par voie électrique m’a étrangement frappé. C’est pour moi le signe le plus clair d’une débâcle imminente. Voilà que par suite du progrès, comme on dit, tout gouvernement devient impossible. Cela est d’un haut grotesque que de voir ainsi la loi se torturer comme elle peut et se casser les reins à force de fatigue, à vouloir retenir l’immense nouveau qui déborde de partout. Le temps approche où toute nationalité va disparaître. La « patrie » sera alors un archéologisme comme la « tribu ». Le mariage lui-même me semble vigoureusement attaqué par toutes les lois que l’on fait contre l’adultère. On le réduit à la proportion d’un délit.

Ne rêves-tu pas souvent aux ballons ? l’homme de l’avenir aura peut-être des joies immenses. Il voyagera dans les étoiles, avec des pilules d’air dans sa poche. Nous sommes venus, nous autres, ou trop tôt ou trop tard. Nous aurons fait ce qu’il y a de plus difficile et de moins glorieux : la transition. Pour établir quelque chose de durable, il faut une base fixe ; l’avenir nous tourmente et le passé nous retient. Voila pourquoi le présent nous échappe.

J’ai ri comme un fol aux « fumiers considérés