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DE GUSTAVE FLAUBERT.

elles marchent en remuant leurs grosses hanches et font traîner sur les pavés leurs babouches jaunes, qui claquent sous la semelle à chaque mouvement du pied. Quand reverrai-je un palmier ? Quand remonterai-je à dromadaire ?

Ô Plumet fils ! qui avez inventé la désinfection de la merde, donnez-moi un acide quelconque pour désembêter l’âme humaine.

Nous avons passé cinq semaines à Constantinople ; il y faudrait passer six mois. Malgré le mauvais temps, nous nous sommes beaucoup promenés dans les bazars, dans les rues, en caïque, à cheval. Nous avons vu le sultan, Nous avons été au théâtre, où l’on jouait un ballet : Le Triomphe de l’Amour. Un dieu Pan y dansait un pas de caractère, engaîné dans une culotte de velours à bretelles, et les danseuses exécutaient, à la barbe des Arméniens, des Grecs et Turcs, un cancan des plus effrénés. Le public prenait la chose au sérieux et se pâmait d’aise.

Un jour, nous sommes sortis à cheval et nous avons fait le tour des murailles de Constantinople. Les trois enceintes se voient encore. Les murs sont couverts de lierre. Derrière eux grouille la ville turque, avec ses maisons de bois noir et ses vêtements de couleur. En dehors il n’y avait rien qu’un immense cimetière planté de stèles funéraires et de cyprès. Le vent soufflait dans les arbres ; il faisait froid. En suivant toujours l’enceinte, nous sommes arrivés au bord de la mer de Marmara. En cet endroit il y a des boucheries. Des tripailles d’animaux jonchaient le sol ; des chiens fauves rôdaient là tout autour ; les oiseaux de proie, avec de grands cris, voltigeaient dans le ciel, au-dessus