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DE GUSTAVE FLAUBERT.

seras ni ivrogne, ni amant, ni mari, ni tourlourou. Mêlé à la vie, on la voit mal ; on en souffre ou on en jouit trop. L’artiste, selon moi, est une monstruosité, quelque chose hors nature. Tous les malheurs dont la Providence l’accable lui viennent de l’entêtement qu’il a à nier cet axiome. Il en souffre et en fait souffrir. Qu’on interroge là-dessus les femmes qui ont aimé des poètes et les hommes qui ont aimé des actrices. Or (c’est la conclusion) je suis résigné à vivre comme j’ai vécu, seul, avec une foule de grands hommes qui me tiennent lieu de cercle, avec ma peau d’ours, étant un ours moi-même, etc. Je me fiche du monde, de l’avenir, du qu’en dira-t-on, d’un établissement quelconque, et même de la renommée littéraire, qui m’a jadis fait passer tant de nuits blanches à la rêver. Voilà comme je suis ; tel est mon caractère.

Si je sais par exemple à propos de quoi me vient cette tartine de deux pages, que le diable m’emporte, pauvre chère vieille. Non, non, quand je pense à ta bonne mine si triste et si aimante, au plaisir que j’ai de vivre avec toi, si pleine de sérénité et d’un charme si sérieux, je sens bien que je n’en aimerai jamais une autre comme toi, Va, tu n’auras pas de rivale, n’aie pas peur. Les sens ou la fantaisie d’un moment ne prendront pas la place de ce qui reste enfermé au fond d’un triple sanctuaire. On ira peut-être sur le seuil du temple, mais on n’entrera pas dedans.

Ce brave Ernest ! Le voilà donc marié, établi et toujours magistrat par-dessus le marché ! Quelle balle de bourgeois et de monsieur ! Comme il va bien plus que jamais défendre l’ordre, la famille