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DE GUSTAVE FLAUBERT.

surtout moral. Je n’aurais jamais soupçonné ce côté au voyage. Le côté psychologique, humain, comique y est abondant. On rencontre des balles splendides, des existences gorge-pigeon très chatoyantes à l’œil, fort variées comme loques et broderies, riches de saletés, de déchirures et de galons. Et, au fond, toujours cette vieille canaillerie immuable et inébranlable. C’est là la base. Ah ! comme il vous en passe sous les yeux !

De temps à autre, dans les villes, j’ouvre un journal. Il me semble que nous allons rondement. Nous dansons non pas sur un volcan, mais sur la planche d’une latrine qui m’a l’air passablement pourrie. L’idée d’étudier la question me préoccupe. À mon retour j’ai envie de m’enfoncer dans les socialistes et de faire, sous la forme théâtrale[1], quelque chose de très brutal, de très farce, et d’impartial bien entendu. J’ai le mot sur le bout de ma langue et la couleur au bout des doigts. Beaucoup de sujets plus nets comme plan n’ont pas tant d’empressement à venir que celui-là.

À propos de sujets, j’en ai trois, qui ne sont peut-être que le même et ça m’embête considérablement : 1o  Une nuit de Don Juan[2] à laquelle j’ai pensé au lazaret de Rhodes ; 2o  L’histoire d’Anubis, la femme qui veut se faire aimer par le Dieu. C’est la plus haute, mais elle a des difficultés atroces ; 3o  Mon roman flamand de la jeune fille qui meurt vierge et mystique, entre son père et sa mère, dans une petite ville de province, au fond d’un jardin planté de choux et de quenouilles, au bord

  1. Voir Le Candidat, dans Flaubert, Théâtre, 1 vol.
  2. Voir Œuvres de jeunesse inédites, III, p. 321.