Page:Flaubert Édition Conard Correspondance 2.djvu/247

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
241
DE GUSTAVE FLAUBERT.

C’est tout profil, et ça passe près de vous comme des ombres.

Au milieu du jour, à l’heure la plus chaude, quand la lumière tombe d’aplomb, quand nous cheminons sans parler sur nos maigres et solides chevaux et que les mulets fatigués tendent au vent leurs gencives blanchies par la soif, c’est alors qu’on voit sortir les lézards du tronc creux des oliviers et que sur les haies de nopals s’avance, en levant les pattes, le caméléon prudent qui roule ses yeux ronds.

Il y a deux ou trois jours nous sommes allés voir la léproserie. C’est hors la ville, près d’un marais d’où des corbeaux et des gypaètes se sont envolés à notre approche. Ils sont là, les pauvres misérables, hommes et femmes (une douzaine peut-être), tous ensemble. Il n’y a plus de voiles pour cacher les visages, de distinction de sexes. Ils ont des marques de croûtes purulentes, des trous à la place du nez, et j’ai mis mon lorgnon pour distinguer à l’un d’eux si c’était des loques verdâtres ou ses mains qui lui pendaient au bout des mains (sic). C’étaient ses mains. (Ô coloristes, où êtes-vous donc ?) Il s’était traîné pour boire auprès de la fontaine. Sa bouche, dont les lèvres étaient enlevées comme par une brûlure, laissait voir le fond de son gosier. Il râlait en tendant vers nous ses lambeaux de chair livides. Et la nature calme tout à l’entour ! de l’eau qui coulait, des arbres verts tout frissonnants de sève et de jeunesse, de l’ombre fraîche sous le soleil chaud. Puis deux ou trois poules, qui picotaient par terre dans l’espèce de basse-cour où ils sont. Les clôtures étaient en bon état ; leur logement même est très propre.