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CORRESPONDANCE

les murailles en bien meilleur état que je ne m’y attendais. Puis j’ai pensé au Christ, que j’ai vu monter sur le mont des Oliviers. Il avait une robe bleue et la sueur perlait sur ses tempes. J’ai pensé aussi à son entrée à Jérusalem avec de grands cris, des palmes vertes, etc., à la fresque de Flandrin que nous avons vue ensemble à Saint-Germain-des-Prés, la veille de mon départ. À ma droite, derrière la ville sainte, au fond, les montagnes blanches d’Hébron se déchiquetaient dans une transparence vaporeuse ; le ciel était pâle. Il y avait quelques nuages, quoiqu’il fît chaud ; la lumière était arrangée de telle sorte qu’elle me semblait comme celle dan jour d’hiver, tant c’était cru, blanc et dur. Puis Maxime m’a rejoint avec le bagage. Nous sommes entrés par la porte de Jaffa et nous avons dîné à 6 heures du soir.

Jérusalem est un charnier entouré de murailles. Tout y pourrit, les chiens morts dans les rues, les religions dans les églises. Il y a quantité de merdes et de ruines. Le Juif polonais avec son bonnet de peau de renard glisse en silence le long des murs délabrés, à l’ombre desquels le soldat turc engourdi roule, tout en fumant, son chapelet musulman. Les Arméniens maudissent les Grecs, lesquels détestent les Latins, qui excommunient les Cophtes. Tout cela est encore plus triste que grotesque. Ça peut bien être plus grotesque que triste. Tout dépend du point de vue ; mais n’anticipons pas sur les détails.

La première chose que nous ayons remarquée dans les rues, c’est la boucherie. Au milieu des maisons se trouve par hasard une place ; sur cette place un trou, et dans ce trou du sang, des boyaux,