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CORRESPONDANCE

La mer était si transparente et si bleue que nous voyions les poissons passer et les herbes au fond. Elle était calme et se gonflait avec un doux mouvement, pareil à celui d’une poitrine endormie. En face de nous Beyrouth, avec ses maisons blanches, bâtie à mi-côte et descendant jusqu’au bord des flots, au milieu de la verdure des mûriers et des pins parasols. Puis, à gauche, le Liban, c’est-à-dire une chaîne de montagnes portant des villages dans les rides de ses vallons, couronnée de nuages et avec de la neige à son sommet. Ah ! pauvre mère, tiens, dans ce moment-ci, j’en ai les yeux humides en pensant que tu n’es pas là, que tu ne jouis pas comme moi de toutes ces belles choses, toi qui les aimes tant. Que j’aurais de plaisir à voir ta pauvre mine, ici, à mes côtés, s’ébahissant de ces prodigieux paysages. Je crois que la Syrie est un crâne pays, « il est carquechose de particulier », comme dit Joseph. Nous ne sommes pas gâtés en fait de verdure et de vues grasses. L’Égypte n’est même belle que par le caractère monumental, régulier, impitoyable de sa nature, sœur jumelle de son architecture. Mais la Syrie est au contraire mouvementée, variée, pleine de choses imprévues. Le lazaret, par exemple, est un des plus beaux pavillons de campagne que je connaisse. Ô nature ! nature ! Quelle canaille que cette vieille nature ! Comme c’est calme ! Quelle sérénité, à côté de toutes nos agitations !