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DE GUSTAVE FLAUBERT.

Il est pour moi presque certain qu’elle sera, dans un temps plus ou moins éloigné, régie comme un collège. Les pions feront la loi. Tout sera en uniforme. L’humanité ne fera plus de barbarismes dans son thème insipide ; mais quel foutu style, quelle absence de tournure, de rythme et d’élan ! Ô Magniers de l’avenir, où seront vos enthousiasmes ?

Qu’importe, le bon Dieu sera toujours là après tout ! Espérons qu’il sera toujours le plus fort et que ce vieux soldat ne périra point. Hier soir (ou hier au soir) j’ai relu l’engueulade de Paulus à Vénus[1] et ce matin j’ai soutenu comme à dix-huit ans la doctrine de l’Art pour l’Art contre un utilitaire (homme fort du reste) ; je résiste au torrent. Nous entraînera-t-il ? Non, cassons-nous plutôt la gueule avec le pied de nos tables. Soyons forts, soyons beaux, essuyons sur l’herbe la poussière qui salit nos brodequins d’or, ou ne l’essuyons même pas. Pourvu qu’il y ait de l’or en dessous, qu’importe la poussière en dessus ! J’ai lu (toujours à propos de cette vieille bougresse de littérature à laquelle il faut tâcher d’ingurgiter du mercure et des pilules), j’ai lu la critique de Vacquerie sur Gabrielle[2]. C’est bon, très bon même. Ça m’a fort estonné, il l’a bien empoigné par son faible ; j’en ai été content.

Je viens de passer une partie de ma nuit à lire un roman de Scribe, la Maîtresse anonyme. C’est complet. Procure-toi cette œuvre ; l’immondicité ne va pas plus loin, rien n’y manque. Ô public !

  1. Dans Melaenis.
  2. Par Émile Augier.