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DE GUSTAVE FLAUBERT.

à notre vie intérieure te fait plaisir. Tu vois que nous passons le temps assez gaiement et que nous avons beau changer de pays, nous ne changeons pas d’humeur. N’importe, ça ne me fera pas de peine non plus d’être arrivé au Caire pour avoir de tes lettres. J’ai reçu les dernières à Keneh le 17 mai, il y a bientôt six semaines.

Nous avons été accueillis à Siout par le médecin[1] du lieu, un Français, et accueillis d’une façon remarquable. Pendant deux jours, nous nous sommes empiffrés chez cet excellent garçon ; ça nous a remis le torse en état et délassés un moment du poulet, du riz et du pain moisi. On rencontre ainsi de braves gens auxquels on n’est nullement recommandé et qui sont enchantés de vous recevoir. Cela tient à l’ennui où ils vivent, à la disette de nouvelles, et au regret du pays dont on leur apporte quelque chose.

Nous avons vu, près de Manfalout, les grottes de Samoun[2]. C’est un cimetière souterrain où il faut ramper pendant trois quarts d’heure sur la poitrine et sur le ventre. Cette expédition est aussi éreintante que curieuse. On en sort exténué. Tout suinte le bitume des embaumements ; la poussière des momies vous prend à la gorge et vous fait tousser, les chauves-souris voltigent autour de votre lanterne. C’est une jolie promenade à faire avec une dame. Nous en avons rapporté des momies de crocodiles, des pieds et des mains humaines dorées, choses à appendre dans nos locaux. L’entassement qu’il y a là est inouï.

  1. Dr Cuny.
  2. La grotte des crocodiles, près de Ma’abdeh.