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DE GUSTAVE FLAUBERT.

sol de l’établissement, je l’entends qui craque sous les bottes. La salle doit être au rez-de-chaussée, basse, humide, sentir le moisi et avoir peu de lumière. Homme cruel, tu ne m’as pas dit où se fonde l’établissement. Ce doit être dans le « bas » de la ville, rue Nationale ou rue de la Savonnerie plutôt, à moins que ce ne soit à Saint-Sever, ce qui serait sublime. Oui, en voilà encore un qui s’établit, un qui est fixé ! Et nous, nous sommes bien loin d’être établis ni fixés, même à quelque chose. Quant à moi, j’y renonce. J’ai beaucoup réfléchi à tout cela depuis que nous nous sommes quittés, pauvre vieux. Assis sur le devant de ma cange, en regardant l’eau couler, je rumine ma vie passée avec des intensités profondes. Il me revient beaucoup de choses oubliées, comme de vieux airs de nourrice dont il vous survient des bribes. Est-ce que je touche à une période nouvelle ? ou à une décadence complète ? Et, du passé, je vais rêvassant à l’avenir, et là je n’y vois rien, rien. Je suis sans plan, sans idée, sans projet et, ce qu’il y a de pire, sans ambition. Quelque chose, l’éternel « à quoi bon ? » répond à tout et clôt de sa barrière d’airain chaque avenue que je m’ouvre dans la campagne des hypothèses. On ne devient pas gai en voyage. Je ne sais si la vue des ruines inspire de grandes pensées. Mais je me demande d’où vient le dégoût profond que j’ai maintenant, à l’idée de me remuer pour faire parler de moi. Je ne me sens pas la force physique de publier, d’aller chez l’imprimeur, de choisir le papier, de corriger les épreuves, etc. Et qu’est-ce que cela, comparativement au reste ? Autant travailler pour soi seul. On fait comme on veut et d’après ses