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DE GUSTAVE FLAUBERT.

se tenait au haut de son escalier, ayant le soleil derrière elle, et apparaissant ainsi en plein dans le fond bleu du ciel qui l’entourait. C’est une impériale bougresse, tétonneuse, viandée, avec des narines fendues, des yeux démesurés, des genoux magnifiques, et qui avait en dansant de crânes plis de chair sur son ventre. Elle a commencé par nous parfumer les mains avec de l’eau de rose. Sa gorge sentait une odeur de térébenthine sucrée : un triple collier d’or était dessus. On a fait venir les musiciens et l’on a dansé. Sa danse ne vaut pas, à beaucoup près, celle du fameux Hassan dont je t’ai parlé. Mais c’était pourtant bien agréable sous un rapport, et d’un fier style sous l’autre. En général les belles femmes dansent mal. J’en excepte une Nubienne que nous avons vue à Assouan. Mais ce n’est plus la danse arabe, c’est plus féroce, plus emporté ; ça sent la ligne et le nègre.

Le soir, nous sommes revenus chez Ruchiouk-Hânem. Il y avait quatre femmes danseuses et chanteuses, almées (le mot almée veut dire savante, bas bleu ; comme qui dirait putain, ce qui prouve, Monsieur, que dans tous les pays les femmes de lettres !!!). La fête a duré depuis 6 heures jusqu’à 10 ½, le tout entremêlé de baisers pendant les entr’actes. Deux joueurs de rebek assis par terre ne discontinuaient pas de faire crier leur instrument. Quand Ruchiouk s’est déshabillée pour danser, on leur a descendu sur les yeux un pli de leur turban afin qu’ils ne vissent rien. Cette pudeur nous a fait un effet effrayant. Je t’épargne toute description de danse, ce serait raté. Il faut vous l’exposer par des gestes, pour vous la faire comprendre — et encore ! j’en doute.