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DE GUSTAVE FLAUBERT.

tout. Comme nous avons l’intention d’aller à Kosséir, sur les bords de la mer Rouge, et à la grande oasis de Thèbes, il est certain que nous ne serons pas revenus au Caire avant la fin de mai, ce qui nous remet en Syrie au mois de juin.

À Medinet-el-Fayoun, nous avons logé chez un chrétien de Damas, qui nous a donné l’hospitalité. Il y avait chez lui, logeant comme commensal habituel, un prêtre catholique.

Sous prétexte que les musulmans ne prennent pas de vin, ces braves chrétiens se gorgent d’eau-de-vie. La quantité de petits verres qu’on siffle par confraternité religieuse est incroyable. Notre hôte était un homme un peu lettré et, comme nous étions dans le pays de saint Antoine, nous avons causé de lui, d’Arius, de saint Athanase, etc., etc. Le brave homme était ravi. Sais-tu ce qu’il y avait de suspendu aux murs de la chambre où nous avons couché ? une gravure représentant une vue de Quillebeuf, et une autre une vue de l’abbaye de Granville ! Cela m’a fait bien rêver. Quant au propriétaire, il ne savait pas ce que ces deux images figuraient. Quand on voyage ainsi par terre, le soir vous couchez dans des maisons de boue desséchée, dont le toit en canne à sucre vous laisse contempler les étoiles. À votre arrivée, le scheik chez lequel vous logez fait tuer un mouton ; les principaux du pays viennent vous faire une visite et vous baiser les mains l’un après l’autre. On se laisse faire avec un aplomb de grand sultan, puis on se met à table, c’est-à-dire on s’assoit par terre tous en rond autour du plat commun, dans lequel on plonge les mains, déchiquetant, mâchant et rotant à qui mieux mieux. C’est une po-