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DE GUSTAVE FLAUBERT.

gues barbes aussi. Le drogman a dit : « C’est un seigneur français, bhawadja fransaoui, qui voyage par toute la terre pour s’instruire et qui vient vers toi pour causer de ta religion. » Voilà le style dont on se traite ! Imagines-tu les phrases que je fais ? Ainsi tantôt, comme j’étais à examiner des graines chez un marchand, une femme, à l’enfant de laquelle je venais de faire l’aumône, m’a dit : « Béni soyez-vous, mon doux seigneur : que Dieu vous accorde de retourner sain et sauf dans votre patrie. » On se sert beaucoup de bénédictions et de formules de ce genre. Un saïs à qui Max demandait s’il n’était pas fatigué a répondu : « Le plaisir de tes yeux me suffit. »

Donc je reviens à l’évêque. Il m’a reçu avec moult politesses ; on a apporté le café et bientôt je me suis mis à lui pousser des questions touchant la Trinité, la Vierge, les Évangiles, l’Eucharistie ; toute ma vieille érudition de Saint Antoine est remontée à flot. C’était superbe, le ciel bleu sur nos têtes, les arbres, les bouquins étalés, le vieux bonhomme ruminant dans sa barbe pour me répondre, moi à côté de lui, les jambes croisées, gesticulant avec mon crayon et prenant des notes, tandis qu’Hassan se tenait debout, immobile, à traduire de vive voix et que les trois autres docteurs, assis sur les tabourets, opinaient de la tête et interprétaient de temps à autre quelques mots. Je jouissais profondément. C’était bien là ce vieil Orient, pays des religions et des vastes costumes. Quand l’évêque a été échigné, un des docteurs l’a remplacé et, lorsqu’à la fin j’ai vu qu’ils avaient tous les pommettes rouges, je suis sorti. J’y retournerai, car il y a là beaucoup à apprendre.