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DE GUSTAVE FLAUBERT.

tionnelle dans le regard et de féminité dans les mouvements, ayant les yeux peints avec de l’antimoine et habillés en femmes. Pour costume, de larges pantalons et une veste brodée qui descend jusqu’à l’épigastre, tandis que les pantalons au contraire, retenus par une énorme ceinture de cachemire pliée en plusieurs doubles, ne commencent à peu près qu’au bas ventre, de sorte que tout le ventre, les reins et la naissance des fesses sont à nu à travers une gaze noire collée sur la peau, c’est-à-dire retenue par les vêtements inférieurs et supérieurs. Elle se ride sur les hanches comme une onde ténébreuse et transparente, à tous les mouvements qu’ils font. La musique va toujours du même train, sans arrêter, pendant deux heures. La flûte est aigre, les tambourins vous retentissent dans la poitrine, le chanteur domine tout. Les danseurs passent et reviennent, ils marchent remuant le bassin avec un mouvement court et convulsif. C’est un « trille de muscles » (seule expression qui soit juste) ; quand le bassin remue, tout le reste du corps est immobile. Lorsque c’est, au contraire, la poitrine qui remue, tout le reste ne bouge. Ils avancent ainsi vers vous, les bras étendus, en jouant des crotales de cuivre, et leur figure, sous leur fard et leur sueur, demeure plus inexpressive qu’une statue. J’entends par là qu’ils ne sourient point. L’effet résulte de la gravité de la tête en opposition avec les mouvements lascifs du corps. Quelquefois ils se renversent tout à fait sur le dos par terre, comme une femme qui se couche, et se relèvent avec un mouvement de reins pareil à celui d’un arbre qui se redresse une fois le vent passé. Dans les saluts et révérences,