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CORRESPONDANCE

Nous sommes arrivés au bas de la colline où se trouvent les pyramides, il y a aujourd’hui huit jours (vendredi), à 4 heures du soir. C’est là que commence le désert. Ç’a été plus fort que moi, j’ai lancé mon cheval à fond de train. Maxime m’a imité et je suis arrivé au pied du Sphinx. En voyant cela, qui est indescriptible (il faudrait dix pages, quelles pages !), la tête m’a un moment tourné, et mon compagnon était blanc comme le papier sur lequel j’écris. Au coucher du soleil, le Sphinx et les trois pyramides toutes roses semblaient noyés dans la lumière ; le vieux monstre nous regardait d’un air terrifiant et immobile. Jamais je n’oublierai cette singulière impression. Nous y avons couché trois nuits, au pied de ces vieilles bougresses de pyramides, et franchement c’est chouette. Plus on les voit, plus elles paraissent grandes ; les pierres, qui à vingt pas semblent grosses comme des pavés de rues, ont la taille d’un homme environ et, quand on monte sur elles, cela grandit au fur et à mesure comme lorsqu’on gravit une montagne. Dès le lendemain matin, avant le jour, nous avons commencé l’ascension. Les Arabes qui vous mènent sont si adroits, deux par devant qui vous tirent et deux par derrière qui vous poussent, que l’on est entraîné presque malgré soi. Moi qui n’ai pas le vent long, je n’en pouvais plus d’essoufflement quand je suis arrivé en haut. C’est l’affaire d’un petit quart d’heure.

Le reste de la journée a été employé à visiter l’intérieur des pyramides, les hypogées, les tombeaux où je ne suis pas descendu, de peur du vertige, descente dangereuse d’ailleurs et qui ne récompense pas du mal que l’on se donne. Nous