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DE GUSTAVE FLAUBERT.

es à te creuser la tête pour imaginer un tas de dangers, qui n’ont jamais existé que dans ta cervelle. La lettre d’aujourd’hui, par exemple, me paraît plus triste que les autres. Comme tu vas t’ennuyer, à Rouen ! Comme tu vas regarder ton feu brûler et la pluie couler sur les carreaux ! Fais venir Bouilhet, vous causerez de moi ensemble. Tu sais qu’il est d’une timidité ridicule, et s’il ne t’a pas écrit (ce qui ne m’étonnerait guère), ou s’il ne vient pas subito te voir, sachant ton retour à Rouen, c’est qu’il y a là plus de gaucherie qu’autre chose.

Ma lettre t’arrivera après le jour de l’an. À cette époque nous ferons nos préparatifs pour le voyage du Nil. Nous aurons une belle cange avec dix marins à nous (chaque homme 15 francs par mois), et des lettres de recommandation pour tous les gouverneurs. Il n’y aurait même rien d’étonnant quand Soliman-Pacha nous accompagnerait une partie du voyage (ce qui nous dérangerait un peu, par parenthèse). Nous aurons sur notre bateau une masse de pipes, force tarbouch, chibouk et tarabouk (tambour), etc., etc. Oui, nous avons un bon chic. Le soleil s’est enfin décidé à me culotter la peau : je passe au bronze (ce qui me satisfait) ; j’engraisse (ce qui me désole) ; ma barbe pousse comme une savane d’Amérique. Je dors des douze heures de suite sans [me] réveiller, enfin j’ai l’air d’un vieux roquentin. J’ai une bonne boule et suis satisfait de moi. Quant à la vanité, rassure-toi, Pauvre vieille ; je ne suis pas encore ivre d’encens et je crois qu’au retour je ne ferai pas semblant de ne pas te reconnaître.

Nous avons cette semaine fait une petite ex-