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CORRESPONDANCE

des deux côtés derrière de gros coffres en bois, fumant la pipe et buvant le café, il y a quantité de drôles en turban, penchés sur leur genou et occupés à gratter je ne sais quoi. Dans une espèce d’arrière-boutique flamboie la forge ; quelques gamins polissent des chaînes d’or. Des femmes voilées passent devant vous en criant des mots incompréhensibles ; ou bien c’est la tête de quelque chameau traversant le bazar, qui entre dans la boutique sans façon et regarde ce que l’on fait avec son grand air hébété. Voilà ce que c’est que le bazar des orfèvres. D’orfèvrerie on n’en voit pas ; tout est sous clef.


241. À SA MÈRE.
Le Caire, 14 décembre 1849.

Si tu savais, chère vieille, combien de fois par jour, en voyant de belles choses, je te regrette et me figure ta mine garnie de lunettes, s’ébahissant à mes côtés. Aussi, de tout ce que je vois, je tâche de ramasser le plus possible pour t’en rapporter davantage. Comme nous causerons au retour, pauvre chère vieille ! Allons ! allons ! prends courage ! Ce temps, qui te paraît si long maintenant, dans quelques mois te semblera avoir passé vite. Tu ne te rappelleras plus alors que l’uniformité de ton inquiétude, sans toutes les intermittences qui peuvent maintenant en mesurer l’étendue. Quand je dis intermittences, je me trompe sans doute, car je suis sûr que tu ne désinquiétudes pas et que, du matin au soir (et surtout du soir au matin), tu