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DE GUSTAVE FLAUBERT.

allons chez le général Gallis. On dit qu’on y joue au whist. Ce n’est pas mon affaire, mais la société, l’étiquette, les exigences du monde ! Je vais donc déployer mes bonnes manières.


237. À LOUIS BOUILHET.
Le Caire, 1er décembre 1849.

Je commence, mon cher vieux, par embrasser ta bonne tête et par souffler sur ce papier toute l’inspiration, pour que ton esprit vienne vers moi. Je crois, du reste, que tu penses bougrement à nous, car nous pensons, nous autres, bougrement à toi, et cent fois dans la journée nous te regrettons. À l’heure qu’il est, la lune brille sur les minarets ; tout est silencieux. De temps à autre aboient les chiens. J’ai devant ma fenêtre, dont les rideaux sont tirés, la masse noire des arbres du jardin, vue dans la clarté pâle de la nuit. J’écris sur une table carrée, garnie d’un tapis vert, éclairé par deux bougies et puisant mon encre dans un pot à pommade. J’entends derrière le refend le jeune Maxime qui fait ses dosages photographiques. Les muets sont là-haut qui dorment, à savoir Sassetti et le drogman, lequel drogman, pour avouer la vérité, est un des plus fieffés ruffians qu’on saurait dire. Quant à ma seigneurie, elle est revêtue d’une grande chemise de nubien, en coton blanc, ornée de houppes et d’une coupe dont la description serait longue. Mon chef est complètement ras, sauf une mèche à l’occiput (c’est par là qu’au jour du jugement Mahomet doit vous enlever) et couvert d’un tar-