Page:Flaubert Édition Conard Correspondance 1.djvu/89

Cette page a été validée par deux contributeurs.

jetée devant l’homme, est un gouffre ouvert devant lui et qui s’avance toujours à mesure qu’il marche. Outre l’avenir métaphysique (dont je me fous parce que je ne puis croire que notre corps de boue […] dont les instincts sont plus bas que ceux du pourceau […] renferme quelque chose de pur et d’immatériel quand tout ce qui l’entoure est si impur et si ignoble), outre cet avenir-là, il y a l’avenir de la vie. Ne crois pas cependant que je sois irrésolu sur le choix d’un état. Je suis bien décidé à n’en faire aucun, car je méprise trop les hommes pour leur faire du bien ou du mal. En tout cas je ferai mon droit, je me ferai recevoir avocat, même docteur, pour fainéantiser un an de plus. Il est fort probable que je ne plaiderai jamais, à moins qu’il ne s’agisse de défendre quelque criminel fameux, à moins que ce ne soit dans une cause horrible. Quant à écrire ? je parierais bien que je ne me ferai jamais imprimer ni représenter. Ce n’est point la crainte d’une chute, mais les tracasseries du libraire et du théâtre qui me dégoûteraient ; cependant, si jamais je prends une part active au monde ce sera comme penseur et comme démoralisateur. Je ne ferai que dire la vérité, mais elle sera horrible, cruelle et nue. Mais qu’en sais-je, mon Dieu ! car je suis de ceux qui sont toujours dégoûtés le jour du lendemain, auquel l’avenir se présente sans cesse, de ceux qui rêvent ou plutôt rêvassent, hargneux et pestiférés, sans savoir ce qu’ils veulent, ennuyés d’eux-mêmes et ennuyants […] Magnier me ronge, l’histoire me tanne ; le tabac ? j’en ai la gorge brûlée […] Autrefois je pensais, je méditais, j’écrivais, je jetais tant bien que mal sur le