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tu auras fait une riche découverte). Ainsi, 1o, poésie pour uriner ; 2o, libéralité pour f… ; 3o, intelligence pour dormir ! — Non, non, non, et mille fois non ; au contraire, c’est l’amitié qui t’abuse et qui te fait voir dans mes actions une haute grandeur où il n’y a qu’un intarissable orgueil. Car, depuis que vous n’êtes plus avec moi, toi et Alfred, je m’analyse davantage moi et les autres. Je dissèque sans cesse ; cela m’amuse, et quand enfin j’ai découvert la corruption dans quelque chose qu’on croit pur, et la gangrène aux beaux endroits, je lève la tête et je ris. Eh bien donc, je suis parvenu à avoir la ferme conviction que la vanité est la base de tout, et enfin que ce qu’on appelle conscience n’est que la vanité intérieure. Oui, quand tu fais l’aumône, il y a peut-être impulsion de sympathie, mouvement de pitié, horreur de la laideur et de la souffrance, égoïsme même ; mais, plus que tout cela, tu le fais pour pouvoir te dire : je fais du bien, il y en a peu comme moi, je m’estime plus que les autres, pour pouvoir te regarder comme supérieur par le cœur, pour avoir enfin ta propre estime, celle que tu préfères à toutes les autres. S’il y a là dedans quelque chose qui te paraisse obscur, je te l’expliquerai plus au long. Cette théorie te semble cruelle, et moi-même elle me gêne. D’abord elle paraît fausse, mais avec plus d’attention je sens qu’elle est vraie.

N’oublie pas de dire à Alfred qu’il me réponde au plus vite et que j’attends à coup sûr sa lettre avant son arrivée à Rouen.

Orlowski est à Paris.