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des détails sur ta vie matérielle, je t’assure qu’ils n’ont pas été trop nombreux pour moi.

Tu fais bien de fréquenter Alfred ; plus tu iras avec cet homme et plus tu découvriras en lui de trésors. C’est une mine inépuisable de bons sentiments, de choses généreuses, et de grandeur. Au reste il te reporte bien l’amitié que tu as pour lui. Que ne suis-je avec vous, mes chers amis ! Quelle belle trinité nous ferions ! Comme j’aspire au moment où j’irai vous rejoindre ! Nous passerons de bons moments, ainsi tous trois à philosopher et à pantagruéliser.

Tu me dis que tu t’es arrêté à la croyance définitive d’une force créatrice (Dieu, fatalité, etc.) et que ce point posé te fera passer des moments bien agréables ; je ne conçois pas, à te dire vrai, l’agréable. Quand tu auras vu le poignard qui doit te percer le cœur, la corde qui doit t’étrangler, quand tu es malade et qu’on dit le nom de ta maladie, je ne conçois pas ce que cela peut avoir de consolant. Tâche d’arriver à la croyance du plan de l’univers, de la moralité, des devoirs de l’homme, de la vie future et du chou colossal ; tâche de croire à l’intégrité des ministres, à la chasteté des putains, à la bonté de l’homme, au bonheur de la vie, à la véracité de tous les mensonges possibles. Alors tu seras heureux, et tu pourras te dire croyant et aux trois quarts imbécile ; mais en attendant reste homme d’esprit, sceptique et buveur.

Tu as lu Rousseau, dis-tu ? Quel homme ! Je te recommande spécialement ses Confessions. C’est là dedans que son âme s’est montrée à nu. Pauvre Rousseau, qu’on a tant calomnié, parce que ton