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CORRESPONDANCE

178. À LA MÊME.
Dimanche. [13 décembre 1846.]

Tu as été malade, mon pauvre cœur ; tu as souffert ! Ne fais plus de ces excès de travail qui usent et qui, à cause de la lassitude même qu’ils laissent après eux, vous font en définitive perdre plus de temps qu’ils ne vous en ont fait gagner. Ce ne sont pas les grands dîners et les grandes orgies qui nourrissent, mais un régime suivi, soutenu. Travaille chaque jour patiemment un nombre d’heures égales. Prends le pli d’une vie studieuse et calme ; tu y goûteras d’abord un grand charme et tu en retireras de la force. J’ai eu aussi la manie de passer des nuits blanches ; ça ne mène à rien qu’à vous fatiguer. Il faut se méfier de tout ce qui ressemble à de l’inspiration et qui n’est souvent que du parti pris et une exaltation factice que l’on s’est donnée volontairement et qui n’est pas venue d’elle-même. D’ailleurs on ne vit pas dans l’inspiration. Pégase marche plus souvent qu’il ne galope. Tout le talent est de savoir lui faire prendre les allures qu’on veut. Mais pour cela ne forçons point ses moyens, comme on dit en équitation. Il faut lire, méditer beaucoup, toujours penser au style et écrire le moins qu’on peut, uniquement pour calmer l’irritation de l’Idée qui demande à prendre une forme et qui se retourne en nous jusqu’à ce que nous lui en ayons trouvé une exacte, précise, adéquate à elle-même. Remarque que l’on arrive à faire de belles choses à force de patience et de longue énergie. Le mot de Buffon est un