Page:Flaubert Édition Conard Correspondance 1.djvu/444

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
396
CORRESPONDANCE

le tien, aussi dévoué, aussi profond, aussi involontaire ? Moi qui avais peur que tu ne m’écrives plus ! Ah ! que je te connaissais mal ! J’en frémis de joie, de ton amour. Te mépriser, dis-tu ; mais pourquoi ? Oh tu me calomnies dans ton cœur, aussi toi. Au contraire, non seulement plus je t’aime, mais plus je t’estime, plus je voudrais pouvoir te donner tout. Mais pourquoi faut-il que le seul sacrifice qui te soit agréable soit justement celui-la que je ne puis te faire ? Je suis parti jeudi avec la mort dans l’âme ; mais, entre deux mauvaises actions, j’ai choisi celle qui m’a semblé la moindre, et je suis parti.

J’ai eu des remords de t’avoir quittée, comme si j’avais mal fait ; et pourtant je ne pouvais faire autrement, il le fallait. Tu dis que je n’ai pas voulu t’embrasser avant de partir ; c’est toi qui m’as refusé. Te rappelles-tu que j’ai voulu prendre ta main dans ton manchon et que tu l’as tenue fermée ? Mais pas un seul instant je ne t’en ai voulu. Tu m’affligeais trop ; tout cela s’est retourné contre moi et m’a déchiré à l’intérieur. Que je suis faible ! Moi qui me croyais fort, voilà que je tremble en t’écrivant ; le cœur me bat. Oh ! avant huit jours, vendredi, samedi au plus tard, je te reverrai. Je compte les heures, je reste au coin de mon feu à attendre la journée s’avancer, en pensant à toi et rien qu’à toi.

Nous aurons du temps ; je m’arrangerai d’avance pour être bien libre. Je t’apporterai Novembre ; je te le lirai à l’hôtel, un soir, tout seuls. Un autre jour, tu me liras ton drame. J’irai au spectacle, si tu veux ; je ferai tout ce que tu voudras. Il fait froid ; mes gazons sont tout poudrés à blanc ; les arbres