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CORRESPONDANCE

très longs. Pour le sentiment, il m’est advenu la même histoire. Avant la mort de mon père et de ma sœur, j’avais assisté à leur enterrement, et quand l’événement est arrivé, je le connaissais. Il y a peut-être aussi des bourgeois qui ont pu dire que je paraissais peu ému, ou que je ne l’étais pas du tout. Cesse, à propos de bourgeois, tes plaisanteries sur les héritières de céans. Me prends-tu donc pour un être si sot que je tienne à l’estime de mes concitoyens et que j’ambitionne leurs filles ? J’espère bien jamais de la vie ne me marier, et, si tu le veux, j’en fais ici le serment. Je t’en donnerai les raisons quand tu voudras. Il fut un temps où j’avais tant besoin d’argent que j’aurais épousé n’importe quoi. Maintenant que je suis devenu plus philosophe, je n’épouserai pas pour un million n’importe qui. Ma cupidité a fini par faire de moi un homme très peu soucieux de la fortune. C’est dommage ; j’aurais une belle figure dans mon palais et j’aurais protégé les Arts. Mais je sais que tu n’aimes pas à ce que je t’entretienne de ces idées. Ma mère est, là-dessus, comme toi. Il est drôle que ce soit justement ce que j’aime qui déplaise à ceux que j’aime. C’est encore là une bénédiction de mon esprit ; quand il veut offrir des roses, il ne donne que des chardons.

Adieu ma belle maîtresse, un grand baiser pour vous faire passer toutes vos folies.

Je ne te parle pas de la commission, puisque tu me blâmes de me mettre à couvert sous ces retards et de m’en faire un bouclier contre toi, ni quand je viendrai pour mes affaires. D’abord je n’ai pas d’affaires à Paris si ce n’est toi.