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CORRESPONDANCE

aussi y a des joies plus violentes. Qu’est-ce qui a jamais eu l’idée de faire un festin autrement qu’aux flambeaux ?

Que le diable m’emporte si je sais ce que je veux dire ! si ce n’est que, ce soir, je voudrais t’avoir là, te baiser sur les lèvres, passer mes mains sous tes papillotes légères et mettre ma tête sur ta gorge, quoique cela me soit défendu depuis que tu as vu que je parlais de la tienne à Mme Foucaud. Tu as donc trouvé ma lettre un peu tendre ? Je ne m’en serais pas douté. Il me semble au contraire qu’il y avait par moments un peu d’insolence, et que le ton général en était légèrement gentilhomme. Tu me dis que j’ai aimé sérieusement cette femme. Cela n’est pas vrai. Seulement, quand je lui écrivais, avec la faculté que j’ai de m’émouvoir par la plume, je prenais mon sujet au sérieux ; mais seulement pendant que j’écrivais. Beaucoup de choses qui me laissent froid, ou quand je les vois, ou quand d’autres en parlent, m’enthousiasment, m’irritent, me blessent si j’en parle, et surtout si j’écris. C’est là un des effets de ma nature de saltimbanque. Mon père, à la fin, m’avait défendu d’imiter certaines gens (persuadé que j’en devais beaucoup souffrir, ce qui était vrai, quoique je le niasse), entr’autres un mendiant épileptique que j’avais un jour rencontré au bord de la mer. Il m’avait conté son histoire ; il avait été d’abord journaliste, etc., c’était superbe. Il est certain que, quand je rendais ce drôle, j’étais dans sa peau. On ne pouvait rien voir de plus hideux que moi à ce moment-là. Comprends-tu la satisfaction que j’en éprouvais ? Je suis sûr que non.

Pour en revenir à cette vénérable créature,