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DE GUSTAVE FLAUBERT.

140. À LA MÊME.
En partie inédite.
Nuit de mardi au mercredi, 15 septembre 1846.

[…] Tant mieux, si je n’ai pas de postérité | Mon nom obscur s’éteindra avec moi, et le monde continuera sa route comme si j’en laissais un illustre.

C’est une idée qui me plaît à moi que celle du néant absolu. Axiome : « C’est la vie qui console de la mort, et c’est la mort qui console de la vie. »

[…] Oh que je t’embrasse ! Je suis ému, je pleure. Oui, que je te baise sur ce pauvre cœur qui bat pour moi ! Oh ! tu es bonne, dévouée ! et fusses-tu née laide, ton âme rayonne dans tes yeux et te rend charmante, d’un charme qui touche et attendrit. Non, jamais je n’ai été aimé comme tu m’aimes ; tu as raison de le dire. Je ne le serai pas non plus. Cela n’arrive qu’une fois dans la vie, pour qu’on s’en souvienne toujours et pour qu’en mourant on bénisse ce souvenir.

Tu me dis encore que, quand tu ne me plairas plus, je ne te le fasse pas trop sentir. Ah ! ce serait hideux de ma part ; ce serait infâme. Toi ! toi ! que je te fasse souffrir exprès ? Non ! Si cela m’arrive, pardonne-moi. Dis-toi alors : c’est qu’il ne pouvait faire autrement ; c’est que le ciel le voulait, car s’il ne m’aime plus, il m’aime encore, j’en suis sûre ; d’une autre manière, mais il m’aime.

Sois sage, travaille, fais-moi quelque grande belle chose sobre, sévère, quelque chose qui soit chaud en dessous et splendide à la surface, que je