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DE GUSTAVE FLAUBERT.

de là des aigreurs, des brouilles. Nous finirions par continuer à nous voir par entêtement ou par habitude et non plus par attraction comme maintenant. Je ne le crois pas cependant. Tu es trop bonne, trop douce, trop dévouée pour être comme les autres femmes qui sont si égoïstes ! si âpres de l’homme qu’elles aiment.

Oh ! tu m’aimes bien, va ; je le sais, il faudrait que je sois bien méchant et bien stupide pour ne pas le sentir, pour ne pas te le rendre. Tu m’admirais l’autre jour. (Oui, je lisais l’adoration dans tes yeux ; dans les miens, qu’y lisais-tu ?) Tu me trouvais fort et enflammé. Eh bien, il me semble maintenant que j’étais froid, que j’aurais pu te combler de plus de caresses et d’ardeurs, et que, la première fois, j’effacerai le souvenir de cette nuit-là comme celle-ci avait effacé celui de l’autre. Tu ne doutes plus de moi, n’est-ce pas chère Louise ? Tu es bien sûre que je t’aime, que je t’aimerai encore longtemps. Et je ne te fais pas de serment, je ne te promets rien. Je garde ma liberté comme toi la tienne et « quand tu commenceras à ne plus me plaire, je ne te le ferai pas sentir trop durement » ; ce sont tes expressions.

Oh pauvre femme ! tu ne sais pas comme ça m’a touché. Tiens, je crois au contraire que tu commences à me plaire davantage. Je me souviens de ton visage sous ton mouchoir de nuit, avec tes deux accroche-cœur, quand tu étais sur moi, suspendue sur moi… tes yeux brillaient, ta bouche tremblait, tes dents claquaient… et la douceur chaude de ton corps, quand je l’ai senti pour la première fois, couchés l’un contre l’autre. Te rappelles-tu