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CORRESPONDANCE

il ne sait pas encore ton nom. En faisant autant de son côté, il n’a rien à me demander pas plus que moi à lui. Seulement, l’autre jour, il m’a prêté le cachet où est sa devise.

Je regrette que Phidias ne vienne pas.

C’est un excellent homme et un grand artiste ; oui, un grand artiste, un vrai Grec, et le plus ancien de tous les modernes, un homme qui ne se préoccupe de rien, ni de la politique, ni du socialisme, ni de Fourier, ni des jésuites, ni de l’Université, et qui comme le bon ouvrier, les bras retroussés, est là, à faire sa tâche du matin au soir, avec l’envie de la bien faire et l’amour de son art. Tout est là, l’amour de l’Art. Mais je m’arrête. Ceci t’irrite encore : tu n’aimes pas à m’entendre dire que je m’inquiète plus d’un vers que d’un homme, et que je porte plus de reconnaissance aux poètes qu’aux saints et aux héros. Qu’aurait-on pensé à Rome, du temps d’Horace, si quelqu’un fût venu lui dire :

« Ô bon Flaccus, qu’est-ce que devient votre ode à Melpomène ? parlez-moi de votre passion pour le petit garçon perse que Pollion vous a cédé ; est-ce en asclépiades ou en ïambiques que vous allez nous entretenir de lui ? Tout ce que vous dites me préoccupe bien plus que la guerre des Parthes, que le collège des flammes et que la loi Valeria qu’on veut remettre sur le tapis… »

Il y avait donc cependant quelque chose de plus sérieux que les hommes qui mouraient pour la patrie, que ceux qui priaient pour elle, que ceux qui travaillaient à la rendre plus heureuse : c’étaient ceux qui chantaient, puisque ceux-là seuls survivent. On a découvert des mondes nouveaux