Page:Flaubert Édition Conard Correspondance 1.djvu/327

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
279
DE GUSTAVE FLAUBERT.

me le figure assez) que tu en souffres et t’en tourmentes, Si je pouvais… si… si… toujours ce maudit conditionnel, mode atroce par lequel tous les temps du verbe passent !

Je suis bien bête ce soir. C’est peut-être l’effet du beau clair de lune qu’il fait. Je viens de me promener sous les arbres et je t’ai souhaitée, appelée. Nous eussions fait une belle promenade sans nous rien dire, en te tenant par la taille. Je rêvais à la blancheur de ta figure se détachant sur l’herbe verte pâlement éclairée, au bleu de tes yeux humides et pétillants de lumière, comme le bleu tendre du ciel de cette nuit. Aime-moi toujours, va ; prends-moi pour un bourru, pour un fou, pour tout ce que tu voudras, mais aime-moi encore, laisse là mes idées en paix. Qu’est-ce qu’elles te font ? Elles ne font de mal à personne et elles font peut-être du bien. D’ailleurs, comme toute chose, n’ont-elles pas leur raison d’être ? À quoi bon les mauvaises herbes ? disent les braves gens, pourquoi poussent-elles ? Mais pour elles-mêmes, pardieu ! Pourquoi poussez-vous, vous ? Merci encore des petites fleurs d’oranger ; tes lettres en sont parfumées. Quand j’irai à Paris, je veux garnir ta jardinière des plantes que tu aimes le mieux ; ces pauvres fleurs du moins n’auront pas d’épines. Celles de mon amour ne sont pas de même, à ce qu’il paraît.

Allons, adieu, adieu.