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CORRESPONDANCE

qui semblait les agrandir ; ils étaient immobiles et fixes. Ses épaules nues (car elle était sans fichu et sa robe semblait lâche autour d’elle), ses épaules nues étaient d’un vermeil pâle, lisses et solides comme du marbre jauni ; les veines bleues couraient dans sa chair ardente ; sa gorge battante s’abaissait et montait, pleine d’un souffle étouffé qui m’emplissait la poitrine. Il y avait un siècle que cela durait ; toute la terre avait disparu. Je ne voyais que sa prunelle qui se dilatait de plus en plus. Je n’entendais que sa respiration qui bruissait seule dans le silence complet où nous étions plongés.

Et je fis un pas, je l’embrassai sur ses yeux qui étaient tièdes et doux. Elle me regardait tout étonnée. « M’aimerais-tu, disait-elle ? m’aimerais-tu bien ? » Je la laissais parler sans lui répondre et je la tenais dans mes bras, à sentir son cœur battre.

Elle se dégagea de moi. « Ce soir, je reviendrai, laisse-moi, laisse-moi. — À ce soir, à ce soir. » Elle s’enfuit. Au dîner, elle garda son pied sur le mien et me touchait quelquefois le coude en détournant la tête d’un autre côté. » — Est-ce vrai ?

Tu veux que je te montre le latin ; à quoi bon ? Et d’ailleurs il faudrait que je le sache moi-même. Tu es plus qu’indulgente quand tu me traites d’homme qui sait les langues anciennes à fond. J’espère arriver dans quelques années à les lire à peu près couramment. Par lettre il me semble difficile d’arriver à faire quelque chose de bon. Au reste, nous en causerons. Je n’ai pas le cœur au travail. Je ne fais rien. Je marche de long en large dans mon cabinet ; je me couche sur mon divan de maroquin vert et je pense à toi. L’après--