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DE GUSTAVE FLAUBERT.

aujourd’hui, je les ai reçues toutes deux et la petite fleur avec. Merci de l’idée de la mitaine. Si tu pouvais t’envoyer toi-même avec ! Si je pouvais te cacher dans le tiroir de mon étagère qui est là à côté de moi, comme je t’enfermerais à clef !

Allons, ris ! Aujourd’hui je suis gai, je ne sais pas pourquoi ; la douceur de tes lettres de ce matin me passe dans le sang. Mais ne me conte plus des lieux communs comme celui-ci : que c’est l’argent qui m’a empêché d’être heureux ; que, si j’avais travaillé, j’aurais été mieux. Comme s’il suffisait d’être garçon apothicaire, boulanger ou négociant en vins pour ne pas s’ennuyer ici-bas ! Tout cela m’a été trop dit par une foule de bourgeois pour que je veuille l’entendre dans ta bouche : ça la gâte ; elle n’est pas faite pour cela. Mais je te sais gré d’approuver mon silence littéraire. Si je dois dire du neuf, quand le temps sera venu il se dira de lui-même. Oh ! que je voudrais faire de grandes œuvres pour te plaire ! Que je voudrais te voir tressaillir à mon style ! Moi qui ne désire pas la gloire (et plus naïvement que le renard de la fable), je voudrais en avoir pour toi, pour te la jeter comme un bouquet ; afin que ce soit une caresse de plus et une litière douce où s’étalerait ton esprit quand il rêverait a moi. Tu me trouves beau ; je voudrais être beau, je voudrais avoir des cheveux bouclés, noirs, tombant sur des épaules d’ivoire, comme les adolescents grecs ; je voudrais être fort, pur. Mais quand je me regarde dans la glace et que je pense que tu m’aimes, je me trouve d’un commun révoltant. J’ai les mains dures, les genoux cagneux et la