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CORRESPONDANCE

cette petite rose que je t’envoie. Je dépose dessus un baiser ; mets-la de suite sur ta bouche et puis tu devines où…

Adieu, mille tendresses ; à toi, à toi du soir au matin, du matin au soir.


117. À LA MÊME.
En partie inédite.
Mardi dans l’après-midi [11 août 1846].

Tu donnerais de l’amour à un mort. Comment veux-tu que je ne t’aime pas ? Tu as un pouvoir d’attraction à faire dresser les pierres à ta voix. Tes lettres me remuent jusqu’aux entrailles. N’aie donc pas peur que je t’oublie ! Tu sais bien qu’on ne quitte pas les natures comme la tienne, ces natures émues, émouvantes, profondes. Je m’en veux, je me battrais de t’avoir fait peine. Oublie tout ce que je t’ai dit dans la lettre de dimanche. Je m’étais adressé à ton intelligence virile, j’avais cru que tu saurais t’abstraire de toi-même et me comprendre sans ton cœur. Tu as vu trop de choses là où il n’y en avait pas tant, tu as exagéré tout ce que je t’ai dit. Tu as peut-être cru que je posais, que je me donnais pour un Antony de bas étage. Tu me traites de voltairien et de matérialiste. Dieu sait si pourtant je le suis ! Tu me parles aussi de mes goûts exclusifs en littérature, qui auraient dû te faire deviner ce que je suis en amour. Je cherche vainement ce que cela veut dire. Je n’entends rien. J’admire tout, au contraire, dans la bonne foi de mon cœur, et si je vaux quelque