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DE GUSTAVE FLAUBERT.

Adieu, mon vieux, continue à travailler sans préoccupation du reste de l’univers ; l’égoïsme intellectuel est peut-être l’héroïsme de la pensée. À bientôt j’espère. Tout à toi.


112. À LOUISE COLET[1]
En partie inédite.
Mardi soir, minuit [4 août 1846.]

Il y a douze heures nous étions encore ensemble ; hier à cette heure-ci je te tenais dans mes bras… t’en souviens-tu ?… Comme c’est déjà loin ! La nuit maintenant est chaude et douce ; j’entends le grand tulipier, qui est sous ma fenêtre, frémir au vent et, quand je lève la tête, je vois la lune se mirer dans la rivière. Tes petites pantoufles sont là pendant que je t’écris ; je les ai sous les yeux, je les regarde. Je viens de ranger, tout seul et bien enfermé, tout ce que tu m’as donné ; tes deux lettres sont dans le sachet brodé ; je vais les relire quand j’aurai cacheté la mienne. Je n’ai pas voulu prendre pour t’écrire mon papier à lettres ; il est bordé de noir ; que rien de triste ne vienne de moi vers toi ! Je voudrais ne te causer que de

  1. Louise Colet, née Révoil, naquit en 1810. Femme de lettres, elle aborda tous les genres mais s’adonna surtout à la poésie ; d’une grande beauté, elle combina, par ses amours, des intrigues bruyantes pour attirer l’attention sur son œuvre sans valeur et sur sa personne. Elle persécuta ses amants, parmi lesquels Alphonse Karr, Victor Cousin, Alfred de Vigny. Flaubert la vit pour la première fois dans l’atelier de Pradier en 1846. Elle devint sa maîtresse ; mais au début de l’année 1855, lassé de ses exigences impérieuses, il rompit toutes relations avec la muse. (Voir G. Flaubert, par Émile Faguet, p. 10, Hachette, éd. ; et G. Flaubert, par René Descharmes, Ferroud, éd.).