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DE GUSTAVE FLAUBERT.

l’as pas ; cela prouverait que tu es déjà si encrassé dans ton métier que tu en serais devenu stupide. Exerce-le de ton mieux, ce brave métier, mais ne te prends pas au sérieux ; conserve toujours l’ironie philosophique ; pour l’amour de moi, ne te prends pas au sérieux.

Nouvelles : Baudry[1] vient de se marier, il y a eu samedi huit jours, avec Mlle Sénard[2]. Podesta est également marié ; Lengliné, le commis de M. Le Poittevin, s’est aussi marié ; Denouette s’est encore marié. Tout le monde se marie, si ce n’est moi ; et toi, que j’oubliais pour le quart d’heure ; mais ça t’arrivera un de ces jours, quand tu seras procureur du roi en titre. Il est de certaines fonctions où l’on est presque forcé de prendre une femme, comme il y a certaines fortunes où il serait honteux de ne pas avoir d’équipage. Allons, passons le gant blanc, tirons la bretelle, avançons-nous vers l’officier municipal, prenons une légitime… Il me tarde de te voir muni d’un Victor, d’un Adolphe ou d’un Arthur, qu’on appellera totor, dodofe ou tutur, qui sera habillé en artilleur et qui récitera des fables : maître Corbeau sur un arbre perché, etc.

Il faisait beau temps hier et de l’ombre sous les arbres verts. J’ai repensé à nos anciennes promenades, pipe au bec, à cette femme au goître, chez laquelle nous avons pris des grogs au vin.

Jeudi, en revenant de Paris dans le chemin de fer, à Gaillon, j’ai revu la place où nous avons

  1. Philologue, ami d’enfance de Flaubert ; celui-ci eut souvent recours à ses connaissances techniques quand il écrivit Salammbô, Bouvard et Pécuchet, La Tentation.
  2. Fille de l’avocat qui plaida le procès de Madame Bovary.