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DE GUSTAVE FLAUBERT.

chaque soir pour m’éclairer. — Tu m’affliges, cher et doux ami, tu m’affliges quand tu me parles de ta mort. Songe à ce que je deviendrais. Âme errante comme un oiseau sur la terre en déluge, je n’aurais pas le moindre rocher, pas un coin de terre où reposer ma fatigue. Pourquoi vas-tu aller passer un mois à Paris ? Tu vas t’y ennuyer encore plus qu’à Rouen. Tu en reviendras plus las encore. Es-tu sûr d’ailleurs que les bains de vapeur te soient si utiles pour ta tête de Mœchus ?

J’ai bien envie de voir ce que tu as fait depuis que nous sommes séparés. Dans quatre ou cinq semaines nous lirons cela ensemble, seuls, à nous, chez nous, loin du monde et des bourgeois, enfermés comme des ours et grondant sous notre triple fourrure. Je rumine toujours mon conte oriental, que j’écrirai l’hiver prochain, et il m’est venu depuis quelques jours l’idée d’un drame assez sec sur un épisode de la guerre de Corse que j’ai lu dans l’histoire de Gênes. J’ai vu un tableau de Breughel représentant la Tentation de Saint-Antoine, qui m’a fait penser à arranger pour le théâtre la Tentation de Saint-Antoine ; mais cela demanderait un autre gaillard que moi. Je donnerais bien toute la collection du Moniteur si je l’avais, et 100.000 francs avec, pour acheter ce tableau-là, que la plupart des personnages qui l’examinent regardent assurément comme mauvais. […]

Adieu, je t’embrasse.