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XX
SOUVENIRS INTIMES

tout ce qui regardait son art, était prodigieuse et sa patience ne se lassait jamais. Quelques années avant sa mort, il s’amusait à dire : « Je suis le dernier des Pères de l’Église », et de fait, avec sa longue houppelande marron et sur le sommet de son crâne une petite calotte de soie noire, il avait quelque chose d’un solitaire de Port-Royal.

Je le vois encore parcourant la terrasse de Croisset, absorbé dans sa pensée ; il s’arrêtait tout à coup, croisait ses bras, se renversait en levant la tête, et restait quelques instants les yeux fixés dans l’espace au-dessus de lui, puis reprenait tranquillement sa marche.

La vie à l’Hôtel-Dieu était régulière, large et bonne. Mon grand-père, arrivé à une haute situation médicale, donnait à ses enfants tout ce que l’aisance et la tendresse peuvent apporter de bonheur à la jeunesse. Il avait acheté à Déville, près Rouen, une maison de campagne dont il se défit un an avant sa mort, le chemin de fer coupant le jardin à quelques mètres de l’habitation. C’est alors qu’il acheta Croisset, sur les bords de la Seine.

Tous les deux ans, la famille entière se rendait à Nogent-sur-Seine, chez les parents Flaubert. C’était un vrai voyage qu’on faisait en chaise de poste, à petites journées, comme au bon vieux temps. Cela avait laissé d’amusants souvenirs à mon oncle ; mais ceux qui le charmaient tout particulièrement se rapportent aux vacances passées à Trouville, qui alors n’était qu’un simple village de pêcheurs.

Il y fit la rencontre d’une famille anglaise, la famille de l’amiral Collier, dont tous les membres étaient beaux et intelligents. Les filles aînées, Gertrude et Henriette, devinrent promptement les intimes de mon oncle et de ma mère. Gertrude, depuis madame Tennant, m’écrivait dernièrement quelques pages sur sa jeunesse. Je traduis les lignes suivantes :