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DE GUSTAVE FLAUBERT.

qu’à qu’à Avignon : il n’y a rien de triste comme ce que l’on voit là. Toutes mes mélancolies s’y réveillent. Te rappelles-tu notre retour des Andelys à Rouen et la singulière atmosphère qu’il y avait autour de nous ? Je n’ai pas touché à Fourvières les os des martyrs, parce que je ne savais pas qu’il y en eût ; mais, au confluent des deux fleuves, sur le pont, j’ai regardé l’eau couler en pensant à toi, sans savoir que tu le désirais, comme tu me le mandes par la lettre que j’ai reçue ce matin.

Tantôt, en me promenant le long des flots, je me suis récité le « mais bientôt bondissant d’une joie insensée » et la pièce de la « jeune fille »[1]. J’ai encore pensé à toi aux Arènes de Nîmes et sous les arcades du pont du Gard ; c’est-à-dire qu’en ces endroits-là je t’ai désiré avec un étrange appétit : car, loin de l’autre, il y a en nous comme quelque chose d’errant, de vague, d’incomplet.

J’irai à Nice. Je m’informerai du cimetière où est Germain[2] et j’irai voir sa tombe.

J’ai revu les Arènes que j’avais vues pour la première fois il y a cinq ans. Qu’ai-je fait depuis ? (Ce qui peut s’écrire tout aussi bien avec un point d’exclamation qu’avec un point d’interrogation.) J’ai revu mon figuier sauvage poussé dans les assises du Velarium, mais sec, sans feuilles, sans murmures. Je suis monté jusque sur les derniers gradins en pensant à tous ceux qui y ont rugi et battu des mains, et puis il a fallu

  1. Poésies d’Alfred Le Poittevin.
  2. Germain des Hogues, ami de collège de Flaubert, mort à Nice en 1843, auteur des Caprices, poésies.