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DE GUSTAVE FLAUBERT.

je vis seul comme un ours. J’ai passé tout l’été à me promener en canot et à lire du Shakespeare. Depuis que nous sommes revenus de la campagne, j’ai assez lu et travaillé ; je fais maintenant beaucoup de grec et je repasse mon histoire. Ma maladie aura toujours eu l’avantage qu’on me laisse m’occuper comme je l’entends, ce qui est un grand point dans la vie ; je ne vois pas qu’il y ait au monde rien de préférable pour moi à une bonne chambre bien chauffée, avec les livres qu’on aime et tout le loisir désiré. Quant à ma santé, elle est en somme meilleure ; mais la guérison est si lente à venir, dans ces diables de maladies nerveuses, qu’elle est presque imperceptible.

Je suis encore pour longtemps au régime ; mais je suis patient, et en attendant le temps se passe. J’ai bien souffert, pauvre vieux, depuis la dernière nuit que nous avons passée ensemble à lire Pétrone : on m’a mis un séton qui m’a fait subir des douleurs atroces ; j’ai failli avoir la main droite emportée par une brûlure et j’en conserve encore une large cicatrice rouge ; enfin, comme bouquet de la farce, je me suis fait enlever trois dents de la mâchoire.

J’ai reçu une lettre de Du Camp, qui est à Alger ; il sera de retour d’ici à deux mois ; il me charge de le rappeler à ton souvenir et de te faire ses excuses ; il n’a pu aller à Candie et par conséquent il ne peut te donner les renseignements que tu lui avais demandés.

Avances-tu dans ton travail ? Où en es-tu et qu’est-ce que tu bâtis maintenant ? hors du ministère s’entend, hors de ta place et de ton bagne. Je compatis à ton ennui : je sais ce que c’est que