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CORRESPONDANCE

limer ses scies sur le trottoir qui est en face de moi, ce qui fait une musique très agréable. Il y a de quoi en avoir le rire sardonique et satanique. Ô combien j’envie l’heureux Narcisse qui, loin des cités, fane en paix la luzerne dans les champs paternels, et qui boit le cidre sous les pommiers avec une innocence digne de l’âge d’or. Il méprise tout examen, et le Code civil n’est pour lui qu’un livre comme un autre, c’est-à-dire un livre qu’on ne lit pas.

Tu me demandes des nouvelles d’Henriette, cher rat ; je n’en ai pas et je ne suis pas prêt à t’en donner. Les Collier sont maintenant à Chaillot ; c’est derrière le bois de Boulogne. Je n’ai pas le temps d’y aller souvent. Gertrude m’a écrit pour me donner son adresse et me dire qu’Henriette allait mieux. L’opinion de M. Cloquet, c’est qu’elle est très malade ; voilà tout ce qu’il m’en a dit. Elles lui ont plu extrêmement ; il les trouve charmantes. Herbert n’est pas venu me voir ; il a peur de se perdre dans Paris. Mais je l’ai vu chez sa mère ; il n’est pas changé et m’a dit comme par le passé : « Arthémise, la brosse, la brosse. Bonjour, voisin. »

Si tu savais, vieux rat, combien je pense à cette bienheureuse fin du mois d’août et à la manière dont je me précipiterai hors l’École de Droit quand je serai reçu[1] ! quelles bêtises je dirai et je ferai dans la voiture avec toi ! quelles grimaces et quelles bouffonneries ! je te promets un rire comme tu n’en as jamais entendu.


  1. Flaubert échoua à ce deuxième examen.