Si tu crois à lire mes lettres que je ne m’ennuie pas, mon pauvre rat, tu te trompes on ne peut plus. Quand je pense à vous et que je vous écris, je m’égaye le plus possible, et d’ailleurs je suis si agacé, si embêté, si furieux, que souvent je suis obligé de me battre les flancs pour ne pas me laisser tomber de découragement. Je me remonte le moral, comme on dit, et j’ai besoin de me le remonter à chaque minute. Si tu avais une idée de la vie que je mène, tu le concevrais sans peine. Montaigne, mon vieux Montaigne disait : « Il nous faut abestir pour nous assagir. » Je suis toujours si abesti que cela peut passer pour sagesse et même pour vertu. Quelquefois, j’ai envie de donner des coups de poing à ma table et de faire tout voler en éclats ; puis, quand l’accès est passé, je m’aperçois à ma pendule que j’ai perdu une demi-heure en jérémiades, et je me remets à noircir du papier et à tourner des pages avec plus de vitesse que jamais. Le soir arrive, je m’en vais m’attabler au fond d’un restaurant, tout seul et la mine renfrognée, en pensant à la bonne table de famille, entourée de figures amies et où l’on est chez soi, dans soi, où l’on mange de bon cœur, où l’on rit tout haut. Après quoi je rentre, je ferme mes volets pour que le jour ne me blesse pas les yeux, et je me couche. J’ai pourtant maintenant une grande consolation. C’est un bocal d’excellent