Page:Flaubert Édition Conard Correspondance 1.djvu/171

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

jamais de fin. Je ne fume plus, à peine une pipe par jour. Ma seule distraction, c’est de temps à autre, de me lever de ma chaise et d’aller regarder et ranger mes bottes dans mon armoire. Que ne suis-je un cheval ! cheval de course, j’entends ; au moins il a un groom pour le soigner et de la paille jusqu’au ventre.

Adieu, bon rat, je t’embrasse de toute la fureur dont je me mange le sang.


71. À LA MÊME.
[Paris, décembre 1842.]

Je suis tellement agacé qu’il faut que je me dilate un peu en vous écrivant. Je prends jour définitivement vendredi prochain. Je veux en finir le plus tôt possible parce que ça ne peut pas durer plus longtemps comme ça. Je finirais par tomber dans un état d’idiotisme ou de fureur. Ce soir, par exemple, je ressens simultanément ces deux agréables états d’esprit. Je rage tellement, je suis si impatient d’avoir passé mon examen, que j’en pleurerais. Je crois que je serais même content si j’étais refusé, tant la vie que je mène depuis six semaines me pèse sur les épaules. Il y a des jours pires que les autres. Hier, par exemple, il faisait un temps doux comme au mois de mai : j’ai eu toute la matinée une envie atroce de prendre une carriole et d’aller me promener à la campagne. Je pensais que, si j’avais été à Déville, je me serais mis sous la charreterie avec Néo et que j’aurais regardé la pluie tomber en fumant tranquillement