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L’étude du Droit m’aigrit le caractère au plus haut point : je bougonne toujours, je rognonne, je maugrée, je grogne même contre moi-même et tout seul. Avant-hier soir j’aurais donné cent francs (que je n’avais pas) pour pouvoir administrer une pile [à] n’importe à qui.


64. À ERNEST CHEVALIER.
[Paris, 1er  août 1842.]

Pourquoi n’ai-je pas de tes nouvelles, mon père Ernest ? Voici bientôt trois semaines que je n’ai reçu de tes lettres. Mon voisin Coutil m’a dit que tu étais indisposé. À ce qu’il paraît que tu n’étais pas assez malade pour ne pas le lui dire, mais trop pour me le faire savoir. Je suis piqué, oh ! très piqué. J’espère que tu n’es pas encore mort et je mets sur les soins du barreau et les embarras débutants de ton éloquence un retard auquel je ne le devais pas m’attendre, puisque je t’avais tant prié de m’égayer un peu. J’en aurais grand besoin : le Droit me met dans un état de castration morale étrange à concevoir. C’est étonnant comme j’ai l’usucapion de la bêtise, comme je jouis de l’usufruit de l’emmerdement, comme je possède le bâillement à titre onéreux, etc.

Enfin bref, pour achever, j’en serai quitte dans vingt jours. C’est vers le 20 août que je passe mon examen. Reste à savoir si mes examinateurs seront doux (plaisanteries, farce, gaudriole, histoire de rire !). Je me couche tous les jours à une heure du matin et après avoir pioché régulièrement