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XIII
SOUVENIRS INTIMES

famille aimée, la petite sœur, était une joie sans pareille.

Au dortoir, pendant la semaine, grâce à des bouts de bougie emportés en cachette, il avait lu quelques drames de Victor Hugo, et la passion du théâtre était dans tout son feu.

Dès dix ans, Gustave composa des tragédies. Ces pièces, dont il était à peine capable d’écrire les rôles, étaient jouées par lui et ses camarades. Une grande salle de billard attenant au salon leur fut abandonnée. Le billard poussé au fond servit de scène ; on y montait par un escabeau de jardin. Caroline avait la surveillance des décors et des costumes. La garde-robe de la maman était dévalisée, les vieux châles faisant d’admirables péplums. Il écrivait à un de ses principaux acteurs, à Ernest Chevalier : « Victoire, Victoire, Victoire, Victoire, Victoire ! Tu viendras, Amédée, Edmond, Mme Chevalier, maman, deux domestiques et peut-être des élèves viendront nous voir jouer. Nous donnerons quatre pièces que tu ne connais pas. Mais tu les auras bientôt apprises. Les billets de 1re, 2e et 3e sont faits. Il y aura des fauteuils. Il y a aussi des toits, des décorations ; la toile est arrangée. Peut-être il y aura dix à douze personnes. Alors il faut du courage et ne pas avoir peur », etc.[1].

Alfred Le Poittevin, de quelques années plus âgé que Gustave, et sa sœur Laure faisaient aussi partie de ces représentations. La famille Le Poittevin était liée avec les Flaubert par les deux mères, qui s’étaient connues en pension dès l’âge de neuf ans. Alfred Le Poittevin eut sur la jeunesse de mon oncle une influence très grande en contribuant à son développement littéraire. Il était doué d’un esprit brillant, plein de verve et d’excentricité ; la mort l’enleva jeune, ce fut un grand deuil. Il est parlé de lui dans la préface des Dernières Chansons.

  1. Lettre du 3 avril 1832.